A peine révélé, l’organigramme de la nouvelle Commission Européenne, présidée par l’ancienne ministre allemande de la Défense Ursula Von der Leyen, déclenche la polémique. En effet, le poste de commissaire à la « protection du mode de vie européen » y apparait, confié au Grec Margaritis Schinas.

On aurait pu croire dans un premier temps à la création d’un poste transversal qui assurerait la promotion des droits humains, de la protection sociale ou encore des politiques d’inclusion et de lutte contre les discriminations. Or ce n’est pas du tout ce dont il s’agit : il s’agit du poste anciennement dénommé « migration, affaires intérieures et citoyenneté ». On ne saurait dire plus explicitement que, dans l’esprit de ses initiateurs – et donc, avec l’assentiment des Etats, dont la France – protéger le mode de vie européen, c’est se protéger de l’immigration.

Que la question migratoire compte parmi les défis que l’Europe doit relever ne fait évidemment aucun doute : c’est un sujet de préoccupation de premier plan pour les peuples européens et il ne saurait être question de laisser l’extrême-droite, ou les formations qui flirtent avec ses idées, s’emparer seule de ces sujets. Pouvait-on pour autant reprendre telle quelle, sans l’interroger ni la transformer, la formule magique du « mode de vie » qui, de Marine Le Pen à Orban en passant par Salvini, permet à l’extrême-droite de se poser en parangon des valeurs européennes (pluralisme, égalité des sexes, liberté de conscience et d’expression), alors qu’elle les a toujours combattues ?

Cette reprise de la phraséologie d’extrême-droite est un terrible aveu d’échec, mais il y a plus grave : en rabattant l’identité sur la seule question migratoire, la Commission appauvrit considérablement ce qui fait la richesse et la diversité de la culture européenne. Ainsi, elle renonce à définir positivement le commun européen, pour ne parler que de ce dont il nous faudrait nous garder - l’immigration, sans détail ni précision. Que peut vouloir dire, dans ses conditions, « protéger notre mode de vie », sinon « refuser LEUR mode de vie » ?

Il ne s’agit pas d’une simple erreur dans le choix des mots, mais bien d’une faute politique grave : on ne lutte pas contre les politiques de l’identité par d’autres politiques de l’identité. Au discours identitaire, il faut opposer le commun démocratique et les valeurs qui le fondent : liberté, égalité, solidarité, pluralisme, éducation, émancipation, inclusion.

Ce commissariat au nom impossible montre bien que l’Europe est en passe de perdre ses repères élémentaires sur ce que sont ses valeurs fondatrices. Et ce n’est pas l’initiative improbable de Federica Mogherini de créer un « Erasmus de la religion » qui l’y aidera : la mise en place de cette « plate-forme mondiale d’échanges sur la foi et l’inclusion sociale », dotée de 1,5 M d’€, revient à déléguer à quelques entrepreneurs religieux le soin de donner un supplément d’âme à une Europe qui a perdu la sienne, au mépris des savoirs humanistes, de la laïcisation des politiques sociales dans tous les pays européens, et plus encore, du fait que la majorité des citoyens européens, aujourd’hui, ne s’identifient pas selon leur croyance ou leur appartenance cultuelle.

Sur ces deux initiatives de la Commission, organe non élu, les Etats membres, et plus encore les pays fondateurs au premier rang desquels la France, doivent sortir de leur torpeur et redonner à l’Europe sa boussole.