SORTIE Du livre “Printemps RéPublicain”
SORTIE Du livre “Printemps RéPublicain”
Le 25 août prochain sortira le livre d’Amine El Khatmi : “Printemps Républicain”.
Nous sommes fier de ce plaidoyer pour une gauche républicaine et populaire, une gauche qui aime la France et la défend. Un livre politique avec des propositions fortes pour rétablir l’autorité de l’État, assurer la sécurité des français, pour la justice sociale, l’école, la culture, notre système de santé, notre démocratie ou encore l’avenir de notre planète.
A propos, l’édito de Jérôme Cordelier, rédacteur en chef du service France du Point :
« La gauche déboussolée serait bien inspirée de se jeter sur ce petit livre rouge. Printemps républicain, qui paraît le 25 août aux éditions de l’Observatoire et dont Le Point révèle en exclusivité la substantifique moelle, recèle une foultitude de propositions : 77 au total, dans tous les domaines. Sécurité, intégration, éducation, santé, banlieues, écologie… Cofondateur et actuel président du Printemps républicain, mouvement lancé à l’origine en mars 2016 pour défendre la laïcité, lutter contre l’extrême droite et l’islamisme politique et dont l’aura n’a cessé de s’étendre depuis dans la sphère politico-médiatique, Amine El Khatmi dessine le contour de ce qui pourrait devenir un projet présidentiel, en tout cas une République idéale, en avançant des mesures très concrètes, et sans œillères.
Le jeune homme reste solidement ancré à gauche mais, à l’écoute d’une France qu’il sillonne, garde l’esprit ouvert aux idées venues de toutes parts. Cet intellectuel brillant n’a pas mis son idéalisme dans la poche mais fait preuve d’une lucidité et d’un pragmatisme remarquables. Son franc-parler lui vaut – bien sûr – des détracteurs, mais c’est justement pour cela qu’on l’apprécie au Point, pour ses analyses aiguisées et ses prises de position souvent courageuses, comme l’on pourra à nouveau s’en apercevoir dans cet entretien sans concession »
Par Denis Maillard - Expert associé à la Fondation Jean Jaurés
Dans l’histoire de la gauche française, 2016 s’inscrit dans la lignée de ces années d’implosion, comme on en repère un certain nombre depuis près de deux siècles. Cette année-là, recensons d’abord la naissance de La France insoumise (LFI) dont l’ambition était de dépasser la division gauche-droite par l’affirmation d’un populisme se défiant des oligarchies et s’inscrivant, de ce fait, dans le sillage des « indignés » et du « mouvement des places ».
Depuis le début des années 2010, ce dernier avait, en effet, déferlé sur les parcs Zuccotti ou Gezi, ainsi que sur les places Tahrir, Puerta del Sol, Maïdan ou Syntagma. À son tour, la France – du moins Paris – connaîtra, au printemps 2016, cette éphémère et utopique Nuit debout dont il faut retenir que ses initiateurs avaient surtout juré de ne plus voter socialiste. Manuel Valls, parallèlement, en conclura à une division entre des positions devenues « irréconciliables » à gauche, réflexion rapidement résumée par l’expression, plus englobante, mais plus polémique, de « gauches irréconciliables ».
Pourtant, le Premier ministre de l’époque se bornait alors à expliquer, dans le cadre d’une éventuelle candidature commune à l’élection présidentielle de 2017, que « le problème n’est pas d’organiser une primaire qui irait de Mélenchon à Macron. Parfois, il y a des positions irréconciliables à gauche et il faut l’assumer. Moi, je ne peux pas gouverner avec ceux qui considèrent que François Hollande, c’est pire que Nicolas Sarkozy, ou que Manuel Valls, c’est pire que Jean-Marie Le Pen1 ».
Concomitamment, on note le surgissement d’un mouvement qui allait fortement polariser l’opinion au cours des années suivantes, le « Printemps républicain ». Naissant à gauche, héritier d’un mouvement de réaction au libéralisme culturel, mais assumant, lui aussi, d’unir des personnes de tous horizons, il cherchait en priorité à refonder un cadre républicain commun au lieu de se situer d’emblée dans une dispute sur les sujets économiques et sociaux, s’autorisant pour cela du constat que la gauche avait non seulement renoncé à ses idéaux sociaux de départ, mais rompu surtout avec son socle laïque et universaliste.
Il s’agissait alors de remettre la République – comme système de principes et de valeurs – au sein de la gauche, dans le but de remettre ensuite la gauche dans la République – comme mise en forme politique et institutionnelle du fonctionnement démocratique français.
Enfin, quelques semaines après, c’est au tour d’Emmanuel Macron, ancien ministre d’un gouvernement de gauche, d’entrer dans la danse en fondant En marche, mouvement plus radical encore puisqu’il enjambait notre clivage bicentenaire en expliquant qu’il était devenu non seulement possible, mais même nécessaire d’être « en même temps » de gauche et de droite.
Une recomposition profonde
Avec le recul, on comprend qu’un an plus tard les électeurs aient pu être déboussolés et que chacun ait pu penser, de bonne foi, être fidèle à « la gauche » en votant, qui pour Mélenchon, qui pour Macron, tout en signant la charte du Printemps républicain…
Il se jouait pourtant, de manière plus souterraine, quelque chose d’autre.
De l’ordre d’une recomposition profonde de la manière dont la gauche comprenait la société et aspirait à y tenir sa place. C’est ce que Marcel Gauchet analysait à l’automne 2016 dans la revue Le Débat :
“Au-delà de l’héritage des vieilles divisions, une nouvelle fracture est en train de se creuser au sein de la gauche. Elle résulte de la mutation en cours de ce que l’on pourrait appeler une « gauche de transformation sociale », plus large que l’ancienne gauche révolutionnaire. Cette gauche transformatrice est en train d’achever de faire son deuil des instruments auxquels elle s’en remettait classiquement, depuis la socialisation des moyens de production jusqu’au keynésianisme redistributeur. C’est fini, il n’y a plus rien à espérer de ce côté-là. Du coup, cette gauche de transformation est en train de se reconvertir en une gauche de protestation, hostile à toute participation au pouvoir et ne comptant plus que sur une pression extérieure, éventuellement violente, pour arracher des concessions aux gouvernements en place, qu’ils soient de droite ou de gauche. Le retour de la violence ou de l’acceptation tacite de la violence à gauche est quelque chose de nouveau, qui va contre ce qu’a été la pacification de la vie démocratique depuis une trentaine d’années. Il ne s’agit plus d’une violence révolutionnaire. Son objet est à la fois d’exprimer un refus moral radical de l’ordre l’existant et de créer un rapport de force avec celui-ci, étant entendu qu’il est vain de vouloir l’infléchir par l’accès aux commandes politiques puisqu’il n’admet que des gouvernants à sa solde.”
Gauche de transformation sociale reconvertie en gauche de protestation morale usant, sous couvert de populisme, d’une radicalité des propos et des méthodes, mais ne cherchant en aucun cas à accéder au pouvoir autrement que lors d’une hypothétique secousse révolutionnaire, voilà une situation de laquelle nous ne sommes pas sortis, dix ans plus tard.
La crise de l’Histoire
C’est dans ce contexte de polarisation, dont les prodromes sont à chercher bien en amont, qu’a tenté de se structurer, en France, entre le début des années 2010 et le début des années 2020, soit durant une grosse décennie allant de 2010 à 2023, une gauche néo-républicaine universaliste et non souverainiste. Ce mouvement peut être lu comme une réaction aux insécurités de toute nature nées d’un double phénomène : d’une part, la fin des espérances révolutionnaires qu’a incarné le bloc soviétique, sous la forme – au moins théorique – d’une alternative à la prose du capitalisme démocratique. En effet, comme l’écrit très justement François Furet dans Le passé d’une illusion, son histoire de l’idée communiste en Europe, « la démocratie fabrique par sa seule existence le besoin d’un monde postérieur à la bourgeoisie et au Capital, où pourrait s’épanouir une véritable communauté humaine » ; d’autre part, l’accélération en retour, à partir de la toute fin du XXe siècle, d’une globalisation politique, économique et technologique dont l’Union européenne est apparue, au départ, comme l’instrument privilégié.
Les phénomènes dont on parle commencent en réalité à partir du milieu des années 1970, au moment où les pays occidentaux sont contraints de mettre en conformité leurs principes d’ouverture politique et la nécessité d’une ouverture économique visant, au départ, à contrebalancer le renchérissement des matières premières. La mondialisation qui en est directement issue – critique des frontières et réduction des droits de douane, liberté de circulation et accélération des échanges commerciaux, etc. – a représenté autant une contrainte économique que le développement de potentialités propres à la société libérale.
Ainsi, en moins de trente ans, un monde relativement stable, c’est-à-dire compréhensible et gouvernable, va s’effacer. Ce qui n’est pas sans conséquence sur l’ensemble de la gauche. Elle est cueillie à froid par ce réveil auquel elle n’était en rien préparée. Car s’estompe aussi ce qui faisait son identité profonde au-delà de la diversité de ses sensibilités. En effet, son explication générale de la marche des sociétés fait la part belle à l’Histoire. Celle-ci ne recouvre pas uniquement la lutte des classes, mais revêt, quoi qu’il en soit, l’aspect d’un dévoilement assorti d’une compréhension fine des mécanismes sociaux. Cette dernière permet alors l’organisation rationnelle de la société, entraînant de facto justice et progrès. C’est ce qui permet à la gauche d’avoir l’ambition de peser sur la société. Or, si nous insistons sur cette brusque accélération de l’Histoire, c’est que la gauche va la vivre comme un désaveu et une crise l’affectant en profondeur ; une crise de sa philosophie de l’Histoire donc de son moteur théorique et de l’instrument pratique qui lui permet d’agir : c’est parce qu’elle détenait le sens de l’Histoire que la gauche pouvait à la fois dévoiler le fonctionnement social et en modifier le cours.
Orpheline d’une Histoire qui ne lui fait plus le cadeau du sens, la gauche se montre inévitablement incapable de déchiffrer la société, de comprendre en quoi consiste la nouveauté de son mouvement et donc d’être en situation de la gouverner. Le constat est peut-être sévère, il est pourtant irréfutable. Il explique une grande part de l’explosion de la gauche française telle que nous l’avons relatée au départ. Car celle-ci va se trouver écartelée entre des pôles antagonistes : d’une part, entre son opposition farouche ou, au contraire, sa reddition au libéralisme économique à travers la figure de la mondialisation et de ses conséquences sociales ; d’autre part, elle se divise également entre son aversion ou sa conversion au libéralisme culturel sous la forme de la querelle de l’universalisme et des identités. Si la première de ces disputes est relativement classique bien que les clivages sociaux soient profondément renouvelés, c’est précisément la seconde qui constitue une nouveauté dans les débats à gauche, portée par les soubassements idéologiques de la mondialisation.
Ceux-ci correspondent au tournant identitaire du libéralisme tel qu’il se recompose après la guerre froide. En effet, le néolibéralisme est porteur d’une politique des identités qui touche les rivages de notre pays au moment où s’efface le péril totalitaire et où la mondialisation peut encore être qualifiée d’« heureuse ». Cette torsion du libéralisme – qu’on l’appelle multiculturalisme ou libéralisme culturel – explique également la réaction dite néo-républicaine qui est le cœur de notre sujet.
Un nouveau clivage : le « sociétal »
Tout commence là encore au début des années 1980, quand la gauche, désenvoûtée du communisme, se trouve dans l’obligation de se réinventer afin de nourrir la critique sociale qui continue de l’habiter malgré l’effacement des outils marxistes. Politiquement marginalisée par la victoire de François Mitterrand en 1981, la deuxième gauche, dite parfois « gauche américaine », va en être l’opératrice sur le terrain des idées.
À partir du coup d’arrêt à la politique socialiste en 1983, elle impose une vision plus individualiste des rapports sociaux où la société civile est invitée à suppléer l’impuissance de l’État. Prenant le relais de la gauche anti-totalitaire, ce mouvement de pensée s’agrège autour d’intellectuels comme Pierre Rosanvallon ou François Furet, co-auteurs avec Jacques Julliard d’un livre emblématique de cette époque, La République du centre1 . La convergence a lieu au sein de la Fondation Saint-Simon : hauts fonctionnaires, patrons et intellectuels y préparent une synthèse, ouverte à la fois au libéralisme économique et à sa version culturelle, influencée par la pensée de Rawls sur la justice sociale et séduite par l’idée d’émancipation des minorités sur fond des ratés de l’intégration de l’immigration arabo-musulmane ; également critique de l’État vertical, elle appelle à dépasser la Nation, au moins au niveau européen. Le culturel le dispute alors au social et un mot triomphe : le « sociétal », signalant l’existence d’autres rapports sociaux structurants, moins collectifs et plus identitaires. L’année 1989 va toutefois marquer un coup d’arrêt à cet unanimisme libéral.
Si la célébration du bicentenaire de la Révolution est fortement marquée par un multiculturalisme sans frontière, sur fond d’une relecture libérale de la rupture de 1789, l’affaire du foulard de Creil va fracturer la gauche. Républicains contre progressistes, la laïcité devient contre toute attente un nouveau champ de bataille.
À travers cette querelle, ce n’est plus l’émancipation qui est visée, mais la reconnaissance de la singularité de chacun, sous la forme d’expressions destinées à un bel avenir : le « vivre-ensemble », la coexistence, « mon choix mon droit »... Pour une partie de la gauche, comme pour la droite libérale, la figure du « républicain » redevient une forme d’ennemi. Non pas pour son côté égalisateur et « bouffeur de curé », mais pour sa résistance à la modernisation libérale et à « l’ouverture » – des frontières, aux autres cultures, à la modernité sous toutes ses formes, etc. De ce point de vue, le pamphlet de Daniel Lindenberg, Le rappel à l’ordre , en 2002, donne le signal d’un nouveau combat : tout ce qui ne s’aligne pas sur le consensus social-libéral est taxé de réactionnaire ; c’est aussi la fin de la gauche antitotalitaire qui avait su faire marcher de conserve vieux socialistes, libéraux démocrates, chrétiens de gauche et républicains sociaux ; la coalition ne passe pas le tournant du siècle. Plus rien ne va de soi dans les repères de la gauche française.
Une seule chose est sûre, le terrain est prêt pour la greffe de l’identity politics à l’américaine. C’est dans ce contexte que Terra Nova théorise explicitement, en 2011, une nouvelle coalition électorale que ce think tank de gauche imagine gagnante : en lieu et place du vieux bloc ouvrier-salarié, jugé perdu ou indifférent à cette nouvelle gauche, il s’agit de construire une majorité autour des jeunes diplômés, des femmes, des minorités ethniques, sexuelles ou religieuses.
La gauche ne doit plus convaincre le peuple, mais agréger des clientèles identitaires ou communautaires. À un an de la présidentielle, le tournant stratégique n’est pas sans conséquences : le projet n’est plus seulement intellectuel, il devient politique ; la justice sociale cède le pas à la reconnaissance, l’équité prime l’égalité, l’universalisme s’efface derrière la diversité, le territoire devient second face à l’individu, l’État n’a plus le monopole de la norme et le contrat concurrence la loi. Voilà le retour de « la gauche américaine » sous de nouveaux oripeaux.
Car paradoxalement, ce libéralisme qui prétendait il y a quinze ans armer la gauche de gouvernement s’épanouit aujourd’hui à l’extrême gauche, là encore pour des raisons électorales.
La « Gauche populaire » contre la gauche identitaire
Dès le début des années 2000, pour une partie de la gauche, la politique des identités est devenue la nouvelle grammaire de l’égalité. Gauche diversitaire contre droite identitaire3 , telle est l’opposition que va tenter de desserrer le camp néo-républicain qui se forme sur les décombres du souverainisme des années 1992-2005, soit du traité de Maastricht au traité constitutionnel européen, en passant par la candidature de Jean-Pierre Chevènement à la présidence de la République en 2002.
La mention du souverainisme, qui a alimenté le débat politique autour de la construction européenne durant ces années-là, est importante. En effet, c’est dans son sillage, c’est-à-dire après son échec et son incapacité à traduire le vote « non » de 2005 dans une offre politique, mais sans reprendre pour autant sa critique obsessionnelle de l’Union européenne, que va naître la première mouture de ce néorépublicanisme au sein de La Gauche populaire. Il s’agit d’un collectif d’intellectuels, d’élus et de militants qui se regroupe au sein de la Fondation Jean-Jaurès à partir de 2011.
Préparant, elle aussi, la campagne présidentielle de l’année suivante, La Gauche populaire estime, contre Terra Nova, qu’on ne peut être majoritaire sans nouer alliance avec le peuple, c’est-à-dire avec le monde du travail et les plus modestes, fidèle en cela à son histoire. La gauche doit donc prendre au sérieux toutes les insécurités qui pèsent sur les catégories populaires : l’insécurité physique et matérielle, l’insécurité économique et sociale, l’insécurité territoriale et périurbaine, enfin l’insécurité culturelle et morale, expression qui va enflammer les esprits tant elle pointe l’impensé de la valorisation des identités. Pour y répondre, la gauche ne doit pas se perdre dans un économicisme étroit et daté qui lui fait croire, depuis trente ans, qu’il suffirait d’un peu de croissance pour apaiser les paniques et les colères de la société. Par conséquent, ni vision libérale et multiculturaliste, ni politique des identités comme le préconise Terra Nova, mais la patrie et la république en ligne de mire, c’est-à-dire ce qui fait le commun français et le seul bien des gens de peu.
À cet instant, le procès de Terra Nova est instruit selon trois lignes idéologiques qui coexistent au sein de La Gauche populaire, l’une matérialiste, de type socialiste, cherche à montrer ce que coûterait de s’aliéner les catégories populaires laborieuses ; l’autre, plus souverainiste, insiste sur l’importance d’une Nation qui protège pour les personnes que l’on cherche à rallier ; la dernière, enfin, universaliste, privilégie, contre les logiques diversitaires, ce qui nous est commun. Elles convergent vers une idée de la République qui les contiendrait toutes en général et chacune en particulier. Pourtant, sur les points qui étaient au cœur du projet de La Gauche populaire – hypothèse d’une insécurité multiple, notamment culturelle, critique de l’économicisme et défense de la République universaliste –, l’échec est patent ; le quinquennat Hollande en apportera la piteuse démonstration. Mais la période ouvre aussi une brèche dans les débats à gauche avec les attentats islamistes de 2015 qui agissent comme une gifle que seul le réel administre quelquefois à ceux qui le perdent de vue. Ces crimes réactivent alors le débat sur le libéralisme culturel et la politique des identités, à travers la nouvelle question laïque.
Le Printemps républicain ou la difficile articulation entre la laïcité et question sociale
Comme nous l’avons noté, cela fait quelques années que tout l’arsenal des campus américains – genre, race, postcolonialisme – s’est importé en France. Avec une inflexion notable : ici, pour des raisons historiques qu’il serait trop long de développer, la question identitaire prend un aspect religieux, et se concentre sur l’islam, donc sur l’immigration ; le jeune Beur du début des années 1980 est devenu le musulman ; le rejet n’est plus racial, il devient là aussi culturel. C’est-à-dire identitaire. Et cela sur toutes les cases de l’échiquier politique. Car dans le même temps, la droite en a profité pour redéfinir la laïcité. Mais la matrice est différente : une laïcité identitaire, patrimoniale, prolongement culturel du catholicisme – ce qui reste encore aujourd’hui la vision d’un Bruno Retailleau. Ce glissement permet également au Front national (FN) de retourner sa veste lui aussi : dès 2010, Marine Le Pen va faire de la laïcité un étendard contre l’islam, enrôlant au passage le combat des femmes et des homosexuels considérés comme les cibles d’une religion rétrograde et incompatible avec les valeurs de la République. Conséquence symétrique, à gauche, la laïcité devient suspecte, perçue comme un marqueur de droite.
C’est dans ce contexte qu’en 2016 le camp néorépublicain repart au combat sous les traits du Printemps républicain qui de La Gauche populaire reprend l’identité républicaine, mais répudie la ligne souverainiste en privilégiant la question laïque et toutes les problématiques identitaires qui taraudent et fracturent la France. Mais plus que La Gauche populaire, le Printemps républicain va faire du combat contre « l’âge identitaire » l’axe de sa mobilisation. En effet, explique-t-il, à l’âge des identités, tout est interprété à l’aune d’une logique identitaire ; rien n’est laissé en dehors de ce prisme. Le Printemps républicain entend donc restaurer les conditions d’une vie en commun débarrassée de ces mises en demeure permanentes. Pour cela, il appuie sa défense de la laïcité sur celle de la République qui embrasserait aussi la question territoriale, celle des services publics, du travail et d’autres dimensions indiquant, assez classiquement, que la République est non seulement laïque, mais aussi sociale. C’est ce dernier point, en réalité, qui est le plus compliqué.
En effet, il n’est pas illégitime de se demander si, au bout du compte, ce néo-républicanisme n’est pas tombé dans le travers qu’il cherchait à critiquer : la laïcité a-t-elle joué pour la gauche républicaine le rôle que les valeurs sociétales et le libéralisme culturel ont joué pour la social-démocratie finissante ? Cherchant à en faire un remède à la fièvre identitaire, le Printemps républicain a-t-il été pris à son tour dans le piège identitaire à travers cette notion de laïcité ? C’est là que s’enracinent les polémiques, la malveillance et au mieux les malentendus à son sujet.
Il y a trois raisons essentielles à ces polémiques qui tiennent autant au moment politique qu’au positionnement tactique de ce néo-républicanisme. Tout d’abord, à l’âge identitaire, le passage est étroit entre le rejet de l’assignation des individus à leurs identités réelles ou supposées et la prise en compte de la peur que provoque le mouvement du monde sous forme d’insécurité culturelle, territoriale ou sociale (mondialisation, immigration, visibilité de l’islam, etc.). Il y a là un chemin de crète périlleux : ce n’est pas parce que l’on parle d’identité et qu’on décrypte ce que Gilles Clavreul a nommé la « tenaille identitaire » que l’on milite pour une politique des identités1 . Cette confusion entretenue ad nauseam finira par brouiller la ligne du Printemps républicain. Surtout à gauche où, comme on l’a dit, la notion de laïcité est suspecte d’une dérive droitière puisqu’elle est devenue une notion polémique contre le seul islam.
C’est la deuxième raison qui va faire du Printemps républicain une sorte d’intégrateur négatif à gauche. En effet, bon nombre de militants – de LFI aux Verts, des décoloniaux aux libéraux culturels – vont naturellement instruire le procès d’une « gauche de droite », jetant dans un même sac, baptisé Printemps républicain (horresco referens !), tout ce qui touche de près ou de loin à la laïcité. Et le Printemps républicain, le vrai, le mouvement né en mars 2016, va avoir le plus grand mal à desserrer les mâchoires de cette tenaille broyant sa conception de la laïcité entre droite identitaire et gauche communautaire. D’autant que, né d’une volonté de rassembler tous les républicains universalistes, au-delà de la seule gauche, le Printemps républicain va se retrouver, plus qu’à son tour, à faire cause commune avec des personnalités des gouvernements d’Emmanuel Macron, lui apportant même son soutien en 2022 après le vote de la loi confortant les principes républicains (dite loi séparatisme). Ce qui sera sa perte.
On touche ici à la troisième raison, plus tactique, de la difficulté à ancrer durablement le néo-républicanisme au sein de la gauche : après l’échec de La Gauche populaire et afin de répondre au défi lancé par l’islam politique et l’islamisme, l’objectif du Printemps républicain était, on l’a mentionné, de « remettre la République à gauche pour remettre la gauche dans la République », seule manière de la replacer en situation d’exercer le pouvoir. Le Printemps était avant tout républicain et non pas seulement laïque ; la laïcité n’apparaît donc que comme un premier temps d’un mouvement dynamique qui devait ouvrir sur un réancrage social et populaire.
De ce point de vue, les animateurs du Printemps républicain ont pu partager avec certains de leurs critiques l’idée que la laïcité n’a pas de pouvoirs performatifs par elle-même, sauf à rester abstraite, surplombante et donc harassante des singularités et des vies concrètes : il ne suffit donc pas de la déclarer pour que ses effets se fassent sentir. Il existe une existence matérielle ou, plus prosaïquement, une vie sociale et économique à laquelle la promesse laïque – promesse d’émancipation faite au citoyen – doit s’intéresser concrètement. En effet, l’instauration de l’État social a permis aux citoyens de ne plus dépendre des seules solidarités traditionnelles – le clan, la famille, les voisins, les amis, le quartier, etc. – pour mener une vie indépendante. En devenant publique, la solidarité a permis aux individus de s’émanciper de leurs communautés naturelles. La laïcité fonctionne de la même façon. Si l’on souhaite avoir la possibilité de croire ou ne pas croire, mais aussi d’échapper à sa communauté pour mener sa vie selon sa conscience, il faut donc disposer des conditions matérielles qui permettent de s’émanciper réellement : l’éducation, le travail, le logement, la mobilité. Il s’agit sinon d’assignation à résidence communautaire faisant le jeu de l’obscurantisme et des dominations traditionnelles ; nul n’échappe alors à sa famille, à son clan, à son quartier… Et la promesse de liberté, via la laïcité, devient un mot vain. C’est cet exercice d’articulation de la laïcité et du social, soit la concrétisation de l’universalisme républicain, qui est resté en suspens.
En définitive, le Printemps républicain n’aura pas eu le temps ou pas su prendre le temps de réaliser ce que l’on pourrait appeler une nouvelle synthèse jaurésienne qui aurait vu une réactivation de l’alliance de la République laïque et de la question sociale sur fond de tensions identitaires et d’insécurités culturelle, civique et territoriale que la seule croissance économique n’arrivera jamais à résoudre seule : la hausse des salaires ou la résorption du chômage n’ont aucun effet sur la régulation de l’immigration, ne modifient pas la géographie sociale et la relégation territoriale ou culturelle, ne rééquilibrent pas non plus la place de l’école par rapport au marché, et ne règlent en rien la défiance populaire vis-à-vis des élites politiques ou du fonctionnement de la démocratie.
Impossible synthèse jaurésienne ?
Peut-on alors conclure à un échec du courant néorépublicain à l’issue de la décennie 2011-2023 ?
Sans conteste.
Mais un échec relatif toutefois, tant il nous semble que son effacement ne se fait pas sans un legs à la gauche non populiste. Celui-ci consiste précisément en cette réaffirmation du cadre républicain universaliste et laïque sans lequel il n’est pas d’offre politique. Tel est le renouveau du cadre de référence qui s’oppose à l’électoralisme communautaire de LFI, sur fond d’une inquiétante flambée de l’antisémitisme depuis le 7 octobre 2023. On ne parle donc pas de positions irréconciliables, mais d’un socle non négociable ; sur ce point, le travail du Printemps républicain a payé. Ce qui peine encore à se dessiner, en revanche, ce sont les contours de cette synthèse jaurésienne, clé de toute victoire à venir, qui serait capable de concurrencer à la fois le communautarisme de l’extrême gauche et la droitisation du débat politique.
À nos yeux, cette synthèse gagnante repose sur un triptyque qu’aucun représentant actuel, parmi les personnalités qui s’affirment à gauche, n’est parvenu à combiner jusqu’à présent. Formulons-la ainsi : un universalisme républicain post-sociétal, permettant de détacher l’individu de sa réduction libérale, mais rendu opérant par ce que nous pourrions appeler un socialisme populaire (et non populiste), garanti par ce patriotisme régalien qui tient ensemble les Français au-delà de leurs différences et de la divergence de leurs intérêts immédiats. Ce qui suppose de proposer aux classes populaires et moyennes une alliance renouvelée pour rebâtir ce « peuple républicain » comme cela avait été l’objectif des principaux leaders de la III e République.
Car c’est bien d’un peuple dont la gauche a besoin. Non pas un peuple contre les élites ou les 1 %, mais un peuple qui synthétise à son tour les dimensions de notre triptyque en faisant se lier ensemble le peuple politique, le peuple social et le peuple national. En effet, comme Laurent Bouvet l’a montré dans Le sens du peuple, la gauche, la démocratie, le populisme, ce qu’on appelle « le peuple » au singulier est en réalité tierce puisqu’on a toujours à faire concomitamment au peuple politique, celui de la carte d’électeur, au peuple social, celui de la carte vitale, et au peuple national, celui de la carte d’identité. C’est d’ailleurs ce qui était frappant lors du mouvement des « gilets jaunes », en 2018 : en proie à une révolte sociale d’un nouveau genre, les manifestants ont très tôt formulé des revendications d’ordre politique sur fond de Marseillaise, de drapeaux tricolores et de numéros de département inscrits sur chaque gilet… Selon les moments ou les options idéologiques, l’un ou l’autre peuple sera mis en avant, mais un programme politique ne saurait en négliger aucun. Reste à savoir – et c’est essentiel pour la gauche – si un nouveau « peuple client », celui de la carte bleue, n’a pas vu le jour avec les « gilets jaunes » – dont la révolte était aussi provoquée par une frustration consommatoire. Un nouveau type de peuple, créature de la société de marché, qui viendrait s’ajouter et bousculer les trois autres dimensions populaires que nous venons d’évoquer. L’intégrer à notre synthèse jaurésienne suppose un effort analytique puis une mise en forme politique sans lesquels la gauche sera durablement écartée du pouvoir et s’abîmera dans cet opium populiste purement revendicatif et utopique.
L’effort auquel la gauche est invitée repose d’abord sur une analyse renouvelée des rapports sociaux au sein de la société de marché. Sur ce point, il s’agit de se porter au secours de la panne de réel qui frappe la gauche depuis quelques décennies : quelles sont les modalités d’intervention sociale correspondant aux réalités et, partant, aux difficultés que rencontrent les individus dans leur vie quotidienne ?
À cet égard, le travail descriptif et compréhensif est devenu une urgence politique. Celui-ci repose d’abord sur une attention soutenue aux conditions sociales et surtout de travail que partagent les Français. Les attentes sociétales en termes de reconnaissance identitaire, de singularités individuelles et de souffrances psychiques n’en sont que les dérivées. C’est en cela que la gauche de demain sera post-sociétale. Est-ce à dire pour autant que l’économicisme, critiqué au départ, se paie le luxe d’un retour en grâce ? Absolument pas. Il n’y a pas d’équivalence entre économicisme et question sociale, ce sont deux choses différentes. L’économicisme est une mystique de la croissance pour elle-même, laquelle aurait les vertus de subsumer toutes les difficultés de la vie matérielle et symbolique. Malgré les démentis que lui apporte la réalité, cette baudruche utilitariste semble increvable tant les libéraux partagent avec les marxistes l’idée que l’économie serait déterminante en dernière instance. Ne nous enfermons pas dans cette impasse. Ce qui ne veut pas dire pour autant que la question sociale n’existe plus. Au contraire, elle fait un retour tonitruant, au moins depuis la révolte des « gilets jaunes ». La difficulté, c’est que « le social » ne prend pas la forme qu’on lui connaissait autrefois, ce qui a le don de perturber une gauche en mal de réalité. Se confronter à la question sociale – dimension matérielle s’il en est – nécessite de dépasser la question des classes sociales telle qu’elle a été pensée jusqu’ici pour s’ouvrir à la nouvelle division du travail, produit de quarante ans de mondialisation, de délocalisation, d’individualisation et de numérisation.
Au sein de cette division du travail, les « classes de service » (ou back office de la société servicielle) sont moins contraintes par leur seule place objective – qui vient servir qui ? –, et donc par un rapport de production particulier, que par une dimension subjective provoquée par le manque d’autonomie à laquelle elles aspirent. Ce que les économistes appellent « l’utilité à soi », c’est-à-dire la capacité d’améliorer son sort grâce à son travail et ses efforts. Ce n’est donc plus seulement les conditions d’existence qui déterminent la conscience, mais tout autant la conscience qui se révolte contre certaines conditions de vie et de travail ne permettant pas l’autonomie ; laquelle est pour une bonne part liée à un pouvoir de consommation, c’està-dire à une attestation d’arrimage à la société de marché. Ce qui crée d’autant plus de tensions que les « classes de service » livrent et délivrent des biens qu’elles ne peuvent consommer ou seulement sous une forme dégradée (discount, seconde main, économie de la débrouille…).
L’objectif de cette gauche est donc bien toujours le même, l’émancipation individuelle et collective, mais à partir de conditions sociales objectives et subjectives radicalement transformées et qu’il s’agit d’arrimer au cadre républicain. L’autonomie qui est visée relève bien d’une liberté ou plus exactement d’une libération de conscience. Ce qui suppose in fine de réagencer les rapports entre les acteurs sociaux – en premier lieu les organisations syndicales dont la gauche ne saurait faire l’économie – et l’État. Mais là encore, on ne peut procéder comme toujours. Il s’agira de faire la part des choses de tout un tas d’habitudes sociales, d’acquis mortifères et de manières d’agir qui n’ont plus lieu d’être, mais organisent une certaine forme de sous-traitance d’une impuissance régalienne tout en rendant la société civile dépendante de la commande et du commandement publics. Ce qui jette l’ensemble des acteurs dans une spirale vicieuse. L’ambition sociale à gauche se combine nécessairement à une exigence régalienne, visant à réparer l’État.
À l’aune de cette ambition, on ne peut que constater que la gauche française n’a pas encore pris le virage post-sociétal que d’autres, ailleurs, ont su opérer. Alors que travaillistes anglais ou sociaux-démocrates danois cherchent à réconcilier cette exigence régalienne et une ambition sociale renouvelée, les figures françaises – de Jean-Luc Mélenchon à Raphaël Glucksmann, en passant par François Ruffin et Olivier Faure, sans parler de François Hollande – s’enferment dans un progressisme daté. L’universalisme s’affiche, mais cède aux logiques identitaires tant on demeure incapable de savoir comment celuici s’appliquerait concrètement dans la vie des citoyens : laïcité et universalisme ?
Sous la poussée mélenchoniste, l’ambiguïté est devenue doctrine. Question sociale ? Même écart ; l’État se veut généreux, mais reste désarmé. Et comme souvent, les discours maximalistes n’ont pas de stratégie crédible. Les choses ne sont pas mieux sur l’empreinte nationale entre un localisme sans levier, flatté par la résistance d’une gauche municipale, et l’européanisation de la question des inégalités sans que ne soit réellement abordée la question de la souveraineté économique.
Résultat, la gauche française ne produit plus d’unité, elle gère ses différences, renonçant à penser pour le plus grand nombre. Rien, donc, qui ressemble à une nouvelle doctrine sociale-démocrate que l’on distingue chez nos voisins : primauté du travail et de ses conditions réelles, protectionnisme assumé, régulation des flux migratoires et autorité de l’État, planification écologique industrielle. Pendant que d’autres reconstruisent un projet politique complet, persiste en France une vision fragmentée du progrès qui fait perdre à la gauche un peu plus le lien avec le réel à chaque élection.
Extrait de l’étude de la Fondation Jean Jaurès « La “troisième gauche” – Enquête sur le tournant post-sociétal de la gauche européenne » publiée en juin 2025